Tokden Amtrin, un yogi tibétain aux grandes réalisations
La grande particularité de Tashi Jong est de réunir un groupe de yogis hautement réalisés appelé Tokdens. Au Tibet, les Tokdens vivaient dans des centres de retraite ou dans des grottes isolées. A Tashi Jong il y a un centre de retraite avec tous les équipements nécessaires pour de longues périodes de solitude. Bien qu'ils soient pleinement ordonnés moines, les Tokdens affichent de longs cheveux enroulés en dreadlocks et des robes blanches, costume traditionnel de Milarépa. A l'heure actuelle, il y a environ 15 yogis en retraite depuis de nombreuses années.
Un très grand yogi vivait à Tashi Jong jusqu'à son décès le 1er juillet 2005, il s'agit de Tokden Amtrim.
Valérie nous raconte : "Mon chemin m'a permis de croiser sa route, de passer deux petites heures dans sa petite pièce-demeure où il me raconta, dans le cadre d'une interview au sujet de son exil en Inde, sa vie et son ascèse dans une grotte isolée des montagnes tibétaines d'où il pouvait voir les camions chinois remonter la vallée. Deux heures ne sont pas grand chose, mais j'ai toujours gardé en mémoire l'image de ce "sage", de cet être exceptionnel qui restait imprégnée en moi sans que je ne comprenne trop pourquoi c'était si fort. Ce n'est que récemment, en faisant des recherches sur lui que j'ai découvert que son savoir était reconnu en terme de hautes réalisations yogiques. L'image que je me faisais de cet homme collait bien avec qui il était réellement, et je comprenais mieux pourquoi il avait laissé une telle empreinte en moi. Lorsque l'on croise ce genre de personne, elles nous marquent par ce qu'elles dégagent, par ce que leur énergie diffuse.... Voici donc quelques lignes pour en parler..."
Tokden Amtim est parti faire sa première retraite méditative dans une grotte à l'âge de 24 ans. Il a reçu pour pratique à réaliser le Yidam de Yamantaka Tro-Chu. En parallèle de sa pratique de Yamantaka, Tokden Amtrim était aussi un maître du Trulkhor aka TsaLung, la pratique du yoga physique, des Six yogas de Naropa et des enseignements de Mahamudra et de Dzogchen. Il était un pratiquant Kanying, pratiquant des deux lignéess Kagyu et Nyingma.
Alors qu'il était au Tibet, il pratiquait beaucoup la médiation et était très paisible. Il a effectué ainsi une retraite durant six années, sa grotte était bien exposée, confortable et agréable. A cette époque, les gens des villages avaient pour habitude d'apporter à manger aux yogis, dans leur retraite. Il y avait du bois autour pour se chauffer, des animaux se promenaient dans la forêt alentour, et un jour Tokden Amtrim s'interrogea. "Je pratique le Dharma, je suis très heureux, je suis confortablement installé, il n'y a pas d'émotions négatives, pas de difficultés, pas d'obstacle. Je suis très jeune. Tout va bien. Mais si je poursuis ainsi ma pratique, je vais me transformer en un légume tranquille". Il alla alors interroger Kamtrul Rinpoche en lui suggérant "qu'il serait peut être plus efficace qu'il aille dans un lieu effrayant, inconfortable et désagréable". Ce à quoi Kamtrul Rinpoche répondit qu'il avait tout à fait raison et lui indiqua alors une grotte où poursuivre sa retraite.
L'endroit était froid, humide, peu ensoleillé. Il n'y avait pas d'eau et il devait collecter l'eau qui gouttait des murs pour boire. Les nuits étaient difficiles, et le yogi réalisa que "sa pratique partait en miettes, que sa paix de l'esprit s'était évaporée, et qu'en fait, tout ce qu'il avait fait jusqu'à présent n'avait pas été utile, que sa vraie pratique devait désormais commencer". Il se mit alors à s'entrainer à pratiquer assidument le "rigpa" qui signifie "connaître" ou "être conscient". D'une façon générale, ce terme désigne l'ensemble des expériences conscientielles ou évènements mentaux. Elle désigne la "pure conscience" en tant qu'intelligence innée de l'esprit dans sa condition de bouddhéité inhérente.
« Les êtres sensibles ne sont jamais séparés de cette inchangeante nature innée, pas même un instant, et pourtant ils ne la voient pas. Tout comme la nature du feu est chaleur, et celle de l'eau, humidité, la nature de notre esprit est rigpa, conscience non-duelle »
Rigpa est le concept-clé de l'atiyoga, l'« au-delà du yoga », qui en transcende la dualité. Cet ensemble de techniques vise à laisser rigpa émerger puis s'épanouir et se stabiliser, plutôt que de laisser un égo réticent à sa propre abolition chercher à lever lui-même les voiles à l'Éveil.
Les détails techniques du thögal, plus particulièrement, doivent rester secrets pour éviter les risques de déstabilisation psychologique, et doivent être supervisés et appris d'un lama qualifié. Celui qui en reçoit les enseignements est lié par samaya, l'ensemble des serments envers le maître et la lignée. Cependant la « vue » ou la perspective théorique, ainsi que les approches du trekchö, sont aujourd'hui largement répandus, et librement enseignés.
Auparavant la vue était tenue secrète parce qu'elle s'opposait au tantrisme dominant, mais aussi par crainte de générer une attitude de laisser-aller plutôt que de lâcher-prise, ou de laisser-être (let it be). Ainsi :
- «L'Éveil a l'espace pour nature,
- Et dans l'espace, il n'y a ni effort ni accomplissement ,
- Quiconque pratique l'effort et l'accomplissement
- N'accomplira pas l'Éveil semblable à l'espace.
- L'accomplissement à coup d'efforts est déviant et obscurcissant. »
Les lamas exposant le dzogchen ne manquent jamais de souligner cet écueil.
La pratique de Tokden Amtin s'est poursuivie jusqu'à sa mort. Il a passé sa vie à méditer et il en arriva à cet éveil où les émotions ne viennent plus perturber la paix mentale. Plus rien ne l'affectait, plaisant ou déplaisant, c'était égal, ça ne le touchait plus. Ne pensez pas qu'il s'était détaché dans un sens de "je m'en fous", non, il avait tout simplement atteint l'éveil. Ses émotions étaient évaporées dans l'immensité de rigpa...
Lors du voyage Yoga, Pleine conscience et Bouddhisme chez les Tibétains de l'exil nous irons à Tashi Jong. Tokden Amtin n'est plus, mais je pense que son "énergie", sa conscience illimitée est toujours présente en terme "d'énergie bienfaisante et paisible".
Mise à jour 2015 : j'ai appris récemment que la momie de son corps a été conservée car sa conscience est bien toujours là en méditation. Aller lui rendre hommage sera l'occasion d'approcher un être éveillé, exceptionnel, et ce sera une opportunité exceptionnelle pour méditer à ses côtés.
De plus, n'oublions pas qu'une quinzaine de yogis sont actuellement dans une démarche similaire, ces yogis aux hautes réalisations passent leurs journées à méditer dans des niveaux de conscience exceptionnels.
Se rapprocher d'eux pour méditer près de leurs consciences, à notre tout petit niveau, est très très auspicieux. La conscience est infinie, elle ne s'arrête pas aux murs du centre de retraite où les yogis sont enfermés, ni aux limites d'un corps momifié. Cette énergie est bien réelle, et presque palpable pourrait on dire, nous pouvons nous laisser porter par l'ampleur de l'énergie méditative qu'ils dégagent, car vous l'aurez certainement remarqué, lorsque l'on médite en groupe, on se sent porté, c'est plus facile, ceci du fait que nous sommes plus réceptifs.